Là où dort le jade – Xinjiang
- CoolinClassic

- 2 nov.
- 9 min de lecture
Juillet & Août 2025

Du Kazakhstan, seuls les bons pains (tandyr nan au four tandoor, kattama frit, lepioshka…) et le pilaf, un plat à base de riz et de viande frite, risquent de me manquer ! Fini les tenge, bienvenue au royaume de WeChat ou AliPay, dans une société du (presque) tout numérique, de l’IA, et où la reconnaissance faciale est déjà bien en place ! Kachgar est la porte d’entrée idéale du Xinjiang, une région qui m’a longtemps fait rêver. Ce sont les Mandchous de la dynastie Qing (XVIIIème s.) qui nommèrent comme cela le Turkestan chinois. Si « notre chambre est digne des Mille et une nuits » note Maghnia, c’est peut-être parce qu’elle fût contée dans l’un des récits d’origine persane (Le Conte du tailleur, du bossu, du Juif, de l’Intendant et du Chrétien) ! Cette oasis, située au pied des Tian Shan, est le point de rencontre des routes de la Soie nord-sud qui contournent le Taklamakan, une étendue bien hostile. Son marché, le plus gros d'Asie centrale, accueillent des commerçants venus des républiques voisines. On y échangeait yaks contre chameaux. L’ancien centre de la « caverne de jade » me fait penser à l’Agraba de Disneyland Paris, un gigantesque centre de commerce de toc où tout est bon pour faire du business. Ville à l'identité ouïgoure marquée (90% de la population), les chinoises de l’Est du pays se délectent du folklore des opprimés, et louent des vêtements traditionnels, qui seront mis en lumière par un nombre hallucinant de photographes. Ici, ces derniers ne chôment pas ! La vieille-ville, rasée comme jamais depuis la fin des années 2000, puis reconstruite, a toutefois belle allure et ses salons de thé, où l’on entend le son des instruments ouïghours, sont légion. Maghnia danse avec un vieux Ouïghour, nous enchaînons les breuvages (thés au lait de roses, aux dattes et baies de goji, au safran, cardamome et rose…) ! Sorti de la populace, les petites ruelles sont un régal et bien calmes. Après un thé noir aux figues séchées, dattes rouges et une tranche de pastèque offerte – et avant un marché de nuit qui donne bien envie (takoyaki, liang pi, pains…) –, Maghnia demande l’Insta des demoiselles. InstaWhat ? Elles rougissent… Eh oui, Meta est bloquée dans toute la Chine ! Mais Free a tout compris, car notre puce est localisée au pays. Ainsi, Maghnia comprend, dans notre auberge, que l’Histoire est ici, très officielle. La photo, anonyme, de l’« Homme au char » de Tian’anmen ? Inconnue sur les moteurs de recherche chinois. Lorsque l’on évoque la Révolution culturelle, cette jeune chinoise nous répond que « nous n'avons pas le droit de critiquer Mao, mais toi es libre de dire ce que tu souhaites »… Dans la nouvelle-ville, on trouve une statue du guide suprême de 18 mètres de haut. Société sous contrôle et propagande maximal ! La mosquée ming de Aid Kah et le mausolée d’Abakh Khoja, l'un des plus beaux exemples d'architecture islamique en Chine, rappellent la spécificité de cette région autonome, et la partie archéologique de Kashi vaut le détour. La très ancienne Maimaiti's old house caractérise au mieux l'architecture ouïghoure. Il y fait bon, Franck Lloyd Wright aurait adoré ! À l'intérieur c’est la fight entre photographes et visiteurs. En Chine, on s’engueule, on se fâche, on se pousse, mais on rigole et on sourit ! Les Chinois sont bien étonnants : s’ils suivent comme des moutons, ils ne respectent point les règles face aux autorités. Ils fument, traversent, se garent là où c’est interdit, ou n’hésitent pas à envoyer chier les policiers qui leurs font des réflexions ! Ici, les Han semblent siniser à tout va, tout en conservant un certain exotisme, celui d’une population discriminée et constamment sous surveillance : les Ouïghours. L’histoire n’est pas ancienne, car la dynastie chinoise des Han, déjà, soumettait les royaumes rebelles de la région, tout en y installant des souverains prochinois. La question du génocide ouïghour sera le fil d’Ariane de notre aventure.

Kashgar est le départ de la Karakoram Highway (KKH), construite par les armées pakistanaises et chinoises, qui relie le Turkestan chinois au nord du Pakistan, à travers le massif montagneux du Karakoram/Karakorum. C’est la Route de l’amitié, celle de la Soie ! Elle passe à proximité du Nanga Parbat, l'un des quatorze « huit mille » et est empruntée par de nombreux cyclistes ; c’est le cas de nos compagnons d’auberge, français ou allemand… Respect ! Nous avons obtenu le sésame officiel pour nous rendre dans le Pamir chinois pour admirer les touristiques lacs d’altitude. Comme au-dessus des célèbres boucles routières, les drones, trop nombreux, sont de sortie. Sur le retour, nous comprendrons que nous avons traversé un massif vertigineux. Si le lac Baisha, entouré de « sable blanc », est somptueux, c’est un peu Disneyland avec les Kirghizes qui proposent une photo à dos de yak ou de cheval. Puisqu’ils ont senti son amour de leur pays, c’est cadeau pour la belle ! Plus loin, le lac Karakul (3600m), le plus haut lac du Pamir chinois, offre des vues sur des sommets de plus de 7.000 mètres. Dommage qu’une Chinoise baisse le pantalon pour salir la terre immaculée. Ce soir, par la faute de l’altitude, nous aurons mal à la tête. Allons-y pour une bouffée d’oxygène ! La première journée de notre tour nous permet d’admirer la « forteresse en pierre » (Tashkurgan). Pour certains chercheurs, elle était la « tour de pierre », mentionnée par Ptolémée dans son traité de géographie, qui aurait marqué le point à mi-chemin entre l’Europe et la Chine... Dingue ! La cité de pierre domine une vallée d’altitude très humide. Un thé cadeau et c’est déjà l’heure d’un resto tenu par une famille sichuanaise qui nous offre du thé blanc. Ils refuseront notre pourboire, comme notre chauffeur ouïghour quelques heures plus tard. Celui-ci offrira un jade à Maghnia… Pour retourner à Kachgar, nous traversons la cordillère du Kunlun, la montagne du jade, de couleur rouge, verte ou noire. Celle-ci, d’une longueur de 3.000 kilomètres, longe le Tibet et culmine à 7.649 mètres au Kongur Tagh. Grandioses paysages, le Pamir est unique !
Traverser un désert, c’est notre nouvel objectif à la con ! Rallions Hotan, ville-oasis entre Yarkand et Minfeng. Pour pénétrer dans les gares, il faudra constamment passer par des fouilles plus ou moins minutieuses… Aéroports, entrée des vieilles-villes ou des lieux publics, la sécurité semble la préoccupation majeure des autorités effrayées par la désunion et les « terroristes » musulmans. Ont-ils peur d’une nouvelle République islamique turque du Turkestan oriental, comme dans les années 1930 ou dans l’après-guerre ? Les caméras de vidéosurveillance sont ainsi constantes. On en compte cinquante-cinq lors de notre escale à Ürümqi ! Dans le train, un jeune homme demande à Maghnia ce qu’elle pense du Xinjiang, en ajoutant « Vous voyez bien que la Chine est un pays démocratique et que les gens se sentent bien, pas comme disent les journaux occidentaux ». Incrédule, elle préfère ne pas répondre, en repensant peut-être aux murs des maisons du vieux Kachgar, qui affichent parfois l’inscription « bonne famille communiste ». Nous voici à longer la « Mer de la mort », utilisée par la Chine pour ses essais nucléaires, et les montagnes du Kunlun. Ce n’est pas le « lieu des ruines » pour rien... Le ciel est rouge orangé, le sable est partout… Dans la capitale de l’ancien royaume de Khotan, nous sommes en pays bouddhique. Lorsque Marco Polo visite Hetian au XIIIème siècle, il indique que les habitants sont tous Mahométans. Jusqu’à l’arrivée de l’islam (IXème siècle), diffusé par les Qarakhanides turcophones, la région était donc une terre du bouddhisme hīnayāna (« Petit Véhicule »). Dur de trouver une agence de voyage…, l’une nous dégage énergiquement ! En galère, nous tombons sur une annexe du ministère des Affaires étrangères de « l’Empire du Milieu », qui nous trimballe gratos. Le chauffeur grille les feux, le 4x4 tout confort… Vive le gouvernement chinois ! Les ruines de l’ancien monastère bouddhiste Melikawat (Rawak) sont superbes. C’est bien un « endroit délaissé, à l'abandon », balayé par des tempêtes de sable qui nous pètent à la gueule ! C’est une bonne découverte que le marché de nuit : pain/beignet, huître géante, « gluten » (soja), soja frit, riz au yaourt et confiture, c’est régalade ! Obtenir la clef d’une chambre d’hôtel dans un hôtel du Xinjiang semble Mission : (im)possible !, car les questions sont interminables. On se croirait dans 1984, c’est insupportable ! Alors que les vieux Ouïghours ne parlent pas le chinois, les jeunes ne parlent plus la langue de leurs ancêtres, c’est bien triste. Si la vieille ville de Hotan est sympathique, et la muséographie de l’immense musée excellente, la reconstitution d’une Hetian millénaire, immense, vide et en carton-pâte, fait sourire… Comme lors de la cérémonie d’ouverture de Kachgar, c’est une nouvelle rasade de propagande avec cette ode à la Chine impériale qui a conquis les territoires de l'Ouest. C’est la Chine de Xi Jinping ! De forme ovoïde, le Taklamakan occupe une vaste cuvette bordée par les massifs du Pamir et des Tian Shan, le Kunlun et le plateau du Tibet…. La classe ! Nous sommes sur les anciennes traces de la route de la Soie avec, devant nous, 500 kilomètres à traverser dans un bus, payé au prix fort, surchauffé et éclaté. Le chauffeur s’arrête 3 heures pour une très longue sieste. Cinq heures de retard à Aksou…, on enchaîne pour Kucha, une cité dont le nom provient de l’Empire kouchan (royaume Kuča) fondé par les Tokhariens. Encore une étape de la route de la Soie !

Un père et son fils nous attendent dans une voiture de luxe avec quelques agapes. C’est parti pour le Grand canyon de Kucha, joli mais dégradé par ces nombreuses traces d’une présence humaine (speakers, café…). Au fond du canyon, trois bonzes accueillent les pèlerins dans un petit monastère bouddhiste. Avec ses QR code AliPay ou We Chat, petit mais (financièrement) costaud ! Des falaises sont le refuge des grottes de Kizil (grotte des mille bouddhas), les grottes bouddhiques les plus anciennes de Chine (IIIème siècle). Certaines des fresques en couleur (bleu de lapis-lazuli, vert de malachite…), aux motifs religieux (fables du Roi des Ours ou du Roi des Éléphants) ou profanes et considérées parmi les plus belles peintures murales d’Asie centrale, sont encore bien émouvantes. L’islamisation de la région (par les Ouïghours de langue turque) a entraîné l’abandon du site et la destruction des statues, l’islam interdisant les représentations figurées dans les lieux de culte et l'idolâtrie. Seules quelques grottes, utilisées pour le culte, sont visibles sur les plus de deux-cents grottes répertoriées. Plus tard, la tour de guet de Kizilgaha (15 mètres de haut), qui assurait la sécurité des caravanes et prévenait l’Empire Han des invasions ennemies, s'élève au milieu d’un paysage désertique. Kucha recèle de trésors, du quartier artistique à l’ancienne muraille, de la vieille mosquée au palais. Merci à toi, jeune homme, pour cette très belle journée. Une demi-heure avant l’arrivée en gare, le chef de wagon se met à gueuler… On a bien compris, c’est ici !

À Tourfan, une balade matinale nous fait longer les vignes jusqu’au minaret Sugong construit en briques de boue. Haut de 43 mètres, le minaret de style persan et afghan en impose ! Les Ouïghours de cette partie du Xinjiang étaient manichéens, bouddhistes ou nestoriens avant de se convertir à l’islam. D’ailleurs, c’est par le nestorianisme que le christianisme (oriental) se diffuse en Chine dès le VIIème siècle ; Jésus-Christ serait divin et humain. Au XIIIème siècle, les Ouïghours de Tourfan sont soumis à Gengis Khan, qui décide d’utiliser certains Ouïghours instruits comme fonctionnaires pour administrer la Chine. C’est la tournée de musées de qualité avant de faire péter, enfin !, les traditionnelles brochettes du Xinjiang ! Brochettes, nouilles froides (liang pi), pains ronds ou parfois épicés à l'ail et la ciboulette, je me régale ! Notre daily tour débute par des montagnes de toute beauté, puis par des ruines et la visites des grottes des mille Bouddhas de Bezeklik, un ensemble incroyable d’un kilomètre de long qui domine un canyon. C’est beau et impressionnant ! Nous voici déjà à visiter, au pas de course, le Singing Buddhist Temple, puis plus tard à longer les monts Flamboyants, un massif de grès au nord de la dépression de Tourfan. Témoin de la transition du bouddhisme à l’islam, le village-oasis de Tuyoq, devenu un haut lieu de pèlerinage musulman, ressemble à un décor de cinéma. Les montagnes tireraient leur nom de La Pérégrination vers l'Ouest qui raconte le voyage du moine Tang Sanzang et du Roi Singe Sun Wukong vers l’Inde. C'est ce dernier qui les aurait créés provoquant la chute de braises du ciel. Les légendes sont nombreuses, la température monte… Au pied des montagnes, Gaochang est en pleine fournaise. Ses températures sont parmi les plus élevées de Chine. Les ruines, qui datent parfois de la culture gushi (-206 à 220), contiennent des tombes des Six Dynasties (220 à 589). Il est très agréable de visiter ce site, incroyable, en petit train, car si la chaleur est difficilement supportable, le lieu est grandiose ! Nous arrivons dans la soirée à Ürümqi après deux heures de train. Cette ville de colons chinois, sinisée comme jamais, ne ressemble à rien ! C’est la galère pour rejoindre notre chambre minuscule, la faute à ces policiers – souvent ouïghours – toujours trop zélés. Quels blaireaux ! Nous enfilons les bao vapeurs avant de monter, le lendemain, au lac Tienshan. Sommes-nous dans un tour organisé ? Il semblerait… Comme dans tous les endroits très touristiques du pays, toute la Chine semble s’être donnée rendez-vous. À l’entrée, dans le food court ou sur de grands parkings blindés de bus touristiques, la foule est immense… je reconnais bien là la Chine, celle des pépites de parcs nationaux que sont Juzhaigou ou Zhangjiajie ! Mais, au fur et à mesure d’une belle balade qui longe le lac, la foule s’estompe… Passé l’excellent sanctuaire taoïste, il n’y a plus personne… Ah, la Chine est fascinante et très énervante. Qu’en est-il de sa capitale ?!

























































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