La conquête de l’Ouest – Grandes Plaines & Ouest américain, États-Unis
- CoolinClassic
- 16 mars
- 10 min de lecture
Août 2024
Les Grandes Plaines nous appellent, territoires façonnés par les monstres de moissonneuses-batteuses qui ont fait la gloire et enrichi ces régions. Avant la descente vers le sud, il FAUT s’arrêter à Paisley Park, le complexe de studios d'enregistrement situé à Chanhassen (Minnesota) où tout est Purple Rain et où George Clinton a enregistré. Un Love Symbol, celui de Prince, accueille le visiteur. Que renferme The Vault, la pièce sécurisée qui contient des bandes inédites ? D'après les collaborateurs de ces studios, rien de moins que les enregistrements de Prince et Miles Davis ! Très vite, la population noire disparaît de cette nouvelle Amérique. Nos pique-niques sont faits de cream cheese bagels que l’on agrémente de pickles ; rapidement, les filles se mettent au même régime. Chaque matin, les pecan, pumpkin, blueberry ou lemon pie, les cinnamon ou Louisiana crunch cake de chez Walmart nous assurent l’essentiel. Rapidement, nous arrivons à Walnut Grove, sur les bords de la rivière Plum. L’émotion envahit Maghnia, qui a grandi avec La petite maison dans la prairie. Non mais, c’est MON époque ! C’est parti pour la musique du générique… Les romans de Laura Ingalls Wilder sont devenus de vrais témoignages historiques, une sorte de microstoria familiale. Dans le musée, voici le fiddle du paternel Charles. La route continue vers Sioux Falls ; les chutes sont étonnamment belles. C’est quand on ne s’attend à rien qu’on est souvent agréablement surpris. Dans Main Street, c’est l’heure du Chevy Gate. Il faut débourser 200$ pour éviter que la fourrière embarque le SUV. Les filles se sont-elles vraiment décollées si loin du trottoir ? Je pars à la recherche de Molly, la serveuse typique des cafés des petites villes américaines, qui remet une rasade de café américain bien dégueulasse dans les mugs vides.
À Mitchell (Dakota du Sud), nous entrons déjà dans le Midwest, qui gamin, me faisait rêver. Son Corn Palace, d’architecture néo-mauresque, est une vraie curiosité. Chamberlain accueille un musée sur les Lakotas. À moins de deux-cents mètres, Our Lady of the Sioux fait écho à l’Indian Christ dans une chapelle catholique. Maghnia et moi aimons tant le syncrétisme religieux que c’est un cadeau inattendu ! L’Akta Lakota Museum est à l’image de ceux que nous visiterons jusqu’à Seattle : excellent. Maghnia nous fait la surprise de nous déposer dans une ancienne ville du Far West. L’attaque de la banque est suivie d’une visite au saloon ! Je suis comme un gosse en voyant des objets de tournage du multi-oscarisé Danse avec les loups. Comme Terrence Malick avant lui (Badlands), Costner entrait, dès son premier film, dans la cour des grands ! Dès l’entrée dans les « mauvaises terres », nos smartphones reçoivent les premières alertes ouragan… Quelques minutes plus tard, nous découvrons que la vitre arrière de la Chevrolet est fracassée. Sans solution, nous la garderons jusqu’à Portland ! Les paysages érodés de buttes ou pinacles jaunes-rougeâtres des Badlands sont « monstrueux » comme l’écrit Maghnia. Cette région subdésertique fut, pendant plus de 10.000 ans, le terrain de chasse de tribus amérindiennes arikaras ou sioux. L’une des zones du parc national est, d’ailleurs, gérée conjointement avec une tribu Sioux Oglala, d’où les sites de Ghost Dances. Une heure plus tard, Gary, mi-cheyenne mi-sioux, explique à ceux qui le souhaitent le massacre de Wounded Knee, dernier affrontement important des Guerres Indiennes. En haut d’une butte qui domine le site de la bataille, le cimetière où repose Big Foot est devenu un lieu de mémoire. Une femme, membre de la réserve, l’entretient, tout en se faisant guide contre une quelconque obole.
Rapidement, nous stoppons la voiture pour admirer un immense troupeau de bisons, ces herbivores parfaitement adaptés à la végétation steppique, puis les petits chiens de prairie à queue noire qui squattent la route sans stress. Le temps se gâte et les alertes ouragan se multiplient. Les locaux ne semblent pas paniqués, c’est bon signe ! Des panneaux mettent en garde : les rongeurs sont porteurs de la peste. Une guêpe vient gâcher la fête. Sarah, la lèvre enflée comme jamais, est en panique. No stress t’ont montré les Prairie dogs. Thug life ! Avec Nawell, nous repartons admirer des paysages à la beauté primitive, mais aussi un superbe mouflon des Montagnes Rocheuses qui s’approche au plus près de nous. Ses grandes cornes incurvées lui ont donné le surnom de « bighorn », et mâle ou femelle, celui-ci est énorme. Le bar-saloon du village, tout droit sorti d’une mauvaise série B, est le seul endroit pour dîner. N’ont-ils pas honte de servir un cheeseburger cramé, accompagné d’un minuscule paquet de chips ? Ce n’est pas aux États-Unis que les gastronomes en ont pour leur argent. Dans la matinée, Maghnia et moi partons pour de courtes randonnées. L’ouïe fine de madame décèle la présence d’un crotale des prairies. La cascabelle du rattlesnake a bien fait de nous alerter, car ses changements de couleurs le font confondre avec les éléments végétaux qui l’entourent… Nulle envie de recevoir son venin hémotoxique qui peut entraîner la mort. À Rapid City, la mission réparation de la Chevy est un échec. Vive le scotch et le film plastique ! Il s’agit de faire (très) vite pour découvrir les quarante-trois statues de présidents américains. Et une gourde en cadeau…, quand c’est gratuit, c’est dans nos prix ! L’histoire des Premières Nations devient quotidienne. Nous voilà dans les Black Hills, ces montagnes sacrées que j’ai découvertes par la bédé de Swolfs ou Lucky Luke ; il est le centre du monde pour les Lakotas et Cheyennes. En violation du traité de Fort Laramie de 1868, le gouvernement fédéral prit possession des « collines noires », peu après l’expédition du général Custer, l’arrivée massive des chercheurs d’or, la bataille de Little Big Horn, la mort de Crazy Horse ou la fuite au Canada de Sitting Bull. Ce ne sont pas « six grands-pères » (Tȟuŋkášila Šákpe), mais bien quatre visages granitiques de dix-huit mètres que nous avons sous les yeux. Les sculptures iconiques de Gutzon Borglum du mont Rushmore représentent un pan de l’histoire du pays à travers les figures de George Washington, Thomas Jefferson, Theodore Roosevelt et Abraham Lincoln. Ces choix étaient-ils judicieux, car le monument représente quatre présidents en fonction lors de l'acquisition des terres appartenant aux autochtones ? Et de choisir un sculpteur membre du Ku Klux Klan ? En redescendant de la montagne, Maghnia et moi faisons face à un cerf majestueux. Avant d’arriver chez Verona, le mémorial Crazy Horse est une belle arnaque. Le chef regarde par-dessus la crinière de son mustang vers la terre où ses guerriers sont morts, nous dans ce musée, plutôt une immense boutique où tout est hors de prix. Surtout le ticket d’entrée ! De jeunes Lakotas monnayent une photo après une démonstration de danse. Leur père nous apprend qu’un pow wow a lieu dans deux jours… Que faire ? Rejoindre Wounded Knee, la réserve devenue célèbre pour la lutte contre le projet DAPL, et où, non loin, Crazy Horse se repose pour toujours ? Verona, agréable au possible, vote pour un candidat qui joue avec le feu, et le populisme. Pro-life, anti-immigration et effrayée par une société qui, selon elle, valorise le mariage gay ou la communauté LGBT, ces arguments sont bien faibles mais sont ceux de millions d’habitants de ces contrées reculées. Elle écoute mes arguments, mais préfère suivre les conseils téléphoniques de son frère. « Je t’appelle parce que moi je ne suis pas très intelligente » lui dit-elle. Ils finissent par accepter le « je comprends votre vision très conservatrice de la société mais vous pourriez aisément trouver un candidat plus acceptable ! » Ces bikers en route pour le 84ème Sturgis Motorcycle Rally, le plus rassemblement du monde, suivront Verona à coup sûr. Combien de bannières étoilées et tee-shirts à la gloire de Trump y seront vendus ? La tentative d’assassinat en a fait le héros américain parfait ! À Deadwood, une ville fondée illégalement sur un territoire lakota, nous nous rapprochons des mythes. C’est dans l’un de ses saloons où l’on devait trouver autant de bandits-manchots que de prostituées, que fut tué Wild Bill Hickok. Il repose dans le cimetière de la ville minière, au côté de son amie Calamity Jane. Nous sommes en plein Impitoyable, le western crépusculaire d’Eastwood ! Est-ce ici que Wyatt Earp, lors de son passage en ville, prononça son « Fast is fine, but accuracy is everything » ?
Devil’s Tower rajoute un peu plus d’extraordinaire à ce voyage déjà exceptionnel. À la tombée du jour, nous faisons le tour du monolithe sacré en compagnie de Nawell. Un beau cervidé nous fait l’honneur de sa visite. C’est au pied de ce neck volcanique de 386 mètres qu’a lieu la rencontre entre humains et extraterrestres dans Rencontres du troisième type. Il est aussi mis en valeur dans Yakari… Reviens Jules, car nos discussions sur le sport et ta curiosité me manquent ! La nuit est finalement douce pour tout le monde dans le tipi qu’a réservé Maghnia. Qui l’aurait pensé ? Je trouve ma Molly dans cette petite ville de la Frontier. Nous passons par Gillette, la réserve Crow, Billings, plus tard Red Lodge. Aux aurores, nous faisons la route vers les montagnes Big Horn. Je pleure comme un gosse devant ces mustangs en liberté…, Nawell verse sa larme…, et Maghnia chialera devant L’Ours quelques jours plus tard… La vision du canyon, survolée par un gros rapace, est bestiale. Nous voici dans le site mémoriel de la bataille de Little Big Horn. Combien d’Indiens y furent massacrés par Les Tuniques bleues ? Combien avaient la sagesse d’un Mike S. Blueberry ? La route, décrite comme l’une des plus belles des États-Unis, est – à minima – superbe ! L’heure du morceau de choix est venue...
Dès l’entrée dans Yellowstone, c’est le choc. Des hordes de bisons règnent sur la route bitumée qui permet de rallier Roosevelt Lodge, nommée en l’honneur de l’ancien président qui y séjourna. Notre cabine rustique fera parfaitement l’affaire. La vie animale est partout, de ces antilopes américaines (pronghorns) à ces cerfs de Virginie ou ces wapitis que nous apercevrons longeant la rivière. Au sein même des Mammoth Hot Springs, édifice minéral calcaire naturel, on croise des biches ou wapitis qui traversent les sentiers, ou ce territoire toxique est l’antre des fumerolles et des geysers. Le carbonate de calcium a fini par créer des vasques et les terrasses de Minerve à la coloration rougeâtre (oxyde de fer). C’est déjà à couper le souffle, mais ce n’est que le début ! Car Yellowstone, le plus vieux parc naturel de l’histoire, est le mélange entre un safari animalier, des canyons découpés par les eaux, de sombres forêts, des lacs d’exception et la beauté primitive de la zone géothermique de Rotorua (N-Z). Le lendemain, l’approche du Grand Prismatic Spring, la troisième plus importante source chaude au monde, est sensationnelle. Dans le geyser Excelsior, un monstre de bassin bouillonnant qui pue le soufre, des constructions organiques de type stromatolithes apparaissent. Les dégradés de couleurs des bassins environnants, permettent de prendre le temps d’approcher les anneaux bleus, verts, jaunes et ocre du géant, profond de 50 mètres et au diamètre énorme (80-90m). C’est le mariage magnifique du soufre et de l'oxyde de fer. Chaque minute, plus de deux mille litres d'eau brûlante remontent des entrailles de la Terre et viennent remplir cette cuvette volcanique… Dingue ! Le parc recèle de trésors, du « bassin de la belle de jour » à Old Faithful, symbole du parc, en contact avec une chambre magmatique géante, le supervolcan ; celui-ci est capable de produire des superéruptions, les plus importantes et volumineuses sur Terre… En face des chutes d’eaux de ce canyon de 39 km de long et 370 mètres de profondeur, coup de cœur de Maghnia, on confirme… à Yellow-stone, les pierres sont bien jaunes ! Nos matinées et soirées sont rythmées par l’observation de la vie animale. Chanceux (?), nous apercevons un ours noir, et grâce à de puissantes jumelles ou binoculaires… des loups qui vivent en meute, non loin de leur réserve de viande que sont les troupeaux de bisons ! Le lendemain, un élan sort des abords des bois, et à moins de cinquante mètres, un jeune grizzly fait son show. Comme un symbole, quatre énormes mouflons nous saluent à la sortie du parc. Yellowstone, tu me donneras la chair de poule à jamais…
À Cody, fondée par Buffalo Bill, c’est rodéo tous les soirs ! Le monologue introductif est absurde, comme seuls les Américains en sont capables. Patriotisme, honneur aux anciens combattants et au drapeau, liberté à tout prix, hymne national, toutes les conneries y passent. Je parie que le portrait de Brady Blackburn, ex-étoile accidentée de ce sport, que fait Chloé Zhao dans The Rider est bien plus véridique ! Au milieu d’un concert country, les musiciens font monter les enfants pour chanter The Star-Spangled Banner, un bon « bourrage de crâne » dans les règles de l’art. La muséographie du Buffalo Bill Center est de très grande qualité, ses collections du Wild West Show ou d’armes à feu sont gigantesques ; une place de choix est donnée aux indigènes Shoshones. Devant le bâtiment, un vieil homme – Ron – nous cuisine les traditionnels Dutch oven beans & biscuits, qui seraient parfaits avec un café servi dans ces tasses en étain que recherchent Maghnia. La malheureuse n’a pas vu ces petits morceaux de bacon dans la cup ! Old Trail Town est un miroir de l’Ouest sauvage ; on pénètre dans la planque utilisée par Butch Cassidy, Sundance Kid et autres desperados, avant de nous retrouver face à la tombe de Jeremiah Johnson, le vétéran de la Guerre de Sécession mis en image par Robert Redford en 1972. Butch Cassidy et le Kid, fuyez donc en Bolivie ! Les contrées de l’Ouest sauvage ont souvent été sublimées par les caméras hollywoodiennes, de Peckinpah à Arthur Penn, en passant par Eastwood, Ang Lee (Brokeback Mountain) ou Redford (Et au milieu coule une rivière, L’homme qui murmurait à l’oreille des chevaux). Et surtout par celles de John Ford, le maître du western. Nous traversons trop rapidement le parc national dominé par le Grand Teton qui culmine à 4.197 mètres d'altitude. À Jackson Hole, la photogénique Moulton Barn, ancienne habitation mormone, est devenue la grange la plus photographiée du pays. Après Jackson, nous rallions notre cabane en bois qui domine un superbe panorama. C’est l’endroit rêvé pour imaginer la suite du voyage devant un groupe de tamias (chipmunks) qui a élu domicile dans les plaines. Cette nuit, la montagne brûle, nous sommes inquiets. Chaque jour, les États-Unis nous rappellent leur immensité, la splendeur de la nature, la vie animale foisonnante, mais aussi que le danger peut venir à chaque instant. La vitre de la Chevy se fissure de jour en jour. Va-t-elle tenir ? Mon amie Stéphanie, rencontrée à Bali, nous met à l’abri deux jours dans son cocon d’Ogden. En compagnie d’une amie un peu barrée et de son chéri, on se régale d’un saumon tout juste arrivé d’Alaska… Un réconfort gustatif parfait avant de poursuivre notre conquête de l’Ouest !
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