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L’île des arbres disparus - Chypre

  • Photo du rédacteur: CoolinClassic
    CoolinClassic
  • 1 nov. 2024
  • 8 min de lecture

Dernière mise à jour : 23 nov. 2024

Avril 2024

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L’île des arbres disparus nous accueille au cœur d’un mois d’avril (toujours) ensoleillé en Méditerranée. Nous atterrissons dans une Larnaca sans charme qui fait face à une baie qui porte son nom. Si la promenade du bord de mer ressemble à toutes celles que l’on peut trouver dans les stations balnéaires du bassin méditerranéen, le quartier turc de Pialé pasha et les lieux de cultes chrétiens et musulmans nous donnent quelques sourires. Heureusement, car le temps est bien maussade… Devant une église du IXème siècle, construite à l’emplacement du tombeau de Lazare de Béthanie, cette jolie place invite à prendre le café en se remémorant la joyeuse histoire d’une île grecque, phénicienne, croisée, génoise, vénitienne, byzantine ou ottomane qui, jadis, fut une étape commerciale clé de vassaux en partance pour le Levant. Petite mais stratégique fut l’ancienne « Alachia » égyptienne ou « Enkomi » phénicienne. « Poste avancé, relais, lieu de rencontre, lieu d'échange, c'est à cette fonction que [Chypre] doit sa prospérité toujours reconquise, qu'il doit l'éclat de ses civilisations, constamment enrichies par d'autres cultures. Mais c'est aussi à cette fonction que Chypre doit ses misères, terre convoitée, sans cesse, envahie, pillée, partagée » écrivait d’ailleurs le médiéviste Georges Duby. Que d’histoire(s) !

Nous prenons la direction d’Aya Napa, ancien village de pêcheurs devenu très touristique, presque du Cap Greco. Aya Napa, pour nous c’est (la) mort ! La paix de 1960, suite à l’indépendance du Royaume-Uni, a engendré de forts troubles. Depuis, les ultra-nationalistes grecs considèrent, sans tenir compte de la forte minorité musulmane, que la réunion de l'île à la Grèce (ἔνωσις/Énosis) est la dernière étape d’une union culturelle, historique, ethnique, religieuse, évidemment grecque : c’est leur Grande Idée à la con ! Ces radicaux, appuyés par l’organisation paramilitaire EOKA B et par la dictature des colonels au pouvoir en Grèce depuis 1967, tentèrent un coup d'État (1974), provoquèrent l’invasion de l’île par les Forces armées turques, la chute de la junte militaire grecque, de nombreuses violences et le partage en deux d’une île devenue bicéphale. Pour rallier Famagouste, encore marquée par les événements de 1974, la route passe au milieu d’une base souveraine britannique (Dhekelia), qui partage une frontière avec la république turque de Chypre du Nord, et d’une zone tampon sous administration onusienne qui isole les deux Républiques ennemies. Si l’on y ajoute les deux villages mixtes d’Agios Androlikos et de Yesilköy et quatre enclaves sous souveraineté chypriote, Dhekelia est l’exemple parfait de Géozarbie… Les yeux rivés sur Googlemap, nous tentons de comprendre l’incompréhensible ! Pour visiter le lieu de mémoire qu’est devenue Varosha, il nous faut passer par une terre vidée de ses hommes depuis plus de quarante ans. Le barrage frontalier derrière nous, nous traversons un immense no man’s land où des panneaux interdisent tout témoignage photographique. Les menaces sont sévères ! Et puis quoi encore ?... J’immortalise très vite l’instant ! Nos pouces nous font l’immense honneur d’une rencontre fortuite avec Foudini et Maria, deux sœurs qui reviennent pour la première fois depuis des lustres dans le temps de leur jeunesse. Elles nous content leurs souvenirs douloureux et la demande d’indemnisation de près de trois cents Chypriotes grecs pour obtenir réparation (immobilière). Il faut peu d’imagination pour percevoir la splendeur que devait être la cité balnéaire à son apogée dans les années 1970 ; Elizabeth Taylor, Richard Burton, Raquel Welch ou Brigitte Bardot en avait fait leur lieu de villégiature estivale. Nous récupérons des vélos pour circuler dans Leonidas, Vienna Corner, JFK Avenue ou autres, bref dans cette ville devenue fantôme… Une balade qui serait presque romantique sans la présence des Casques bleus ! Tout cela est certes dramatique, mais assez fascinant. En transit à Famagouste, nous trouvons la tour qui aurait inspirée Shakespeare. Dans la pièce du maître, le général vénitien Othello reçoit pour mission de partir défendre l’île contre les Ottomans. La vieille-ville, nichée à l’intérieur des hautes murailles érigées par les Lusignan et consolidées par les Vénitiens, est une bouffée d’oxygène. En pénétrant dans Hagios Nikolaos, on comprend encore davantage Chypre, car la cathédrale d'architecture gothique française – bâtie lorsque Chypre était « franque » au moment des États latins d’Orient –, est devenue mosquée. À la faveur du siège de 1570-1571, les Ottomans lui greffèrent un minaret. Chypre est donc un voyage dans le temps…, celui des nombreuses civilisations qui ont modelé les espaces levantin et méditerranéen.

Dans la partie grecque, le littoral offre des kilomètres de plages couleur azur aux badauds. Le soleil est encore trop souvent caché. Nous nous posons à Limassol, cette ville-étape qui abrite un château médiéval byzantin ; c’est dans une chapelle que Richard Cœur de Lion, sur la route de la troisième Croisade, aurait épousé la princesse Bérangère de Navarre. Nous explorons les environs, la forteresse de Kolossi, don du roi Hugues Ier, devenu le siège de la commanderie hospitalière après la chute de Saint-Jean-d’Acre en 1291. Le kolosse est proche de Kourion, un site archéologique kolossal ! La mission – bien difficile – de rallier une cité répertoriée par Ptolémée ou Pline l’Ancien, est acceptée. Du haut de l’agora-colline, on comprend le choix de s’installer dans l'un des endroits les plus fertiles de l'île ; les mosaïques sont belles et les objets retrouvés dans les bains publics, la Maison des Gladiateurs, le forum, la Maison d'Achille ou le théâtre gréco-romain se trouvent à présent dans certains des musées les plus prestigieux du monde. Si Limassol n’est pas très jolie, elle est accueillante et renvoie à ces migrations méditerranéennes si nombreuses. Les universités pullulent et axent leur communication sur la méconnaissance de la géopolitique de ces étudiants qui espèrent rallier l’espace Schengen. Les rabatteurs peu scrupuleux, via les réseaux sociaux, vendent à prix d’or un sésame qui n’existe pas. S’ils sont bien entrés dans l’UE via la partie turque, contre un bakchich payé aux gardes-frontières, ils sont désormais bloqués dans un entre-deux par l’absurdité de procédures administratives longues et chronophages. Les exemples sont nombreux, de notre compagnon de quelques heures venu d’un pays d’Afrique francophone, à notre joyeuse cantine népalaise du soir. La diaspora du sous-continent indien rigole, le téléphone souvent branché en mode vidéo sur la famille restée au pays !

Nous longeons la mer Levantine en direction de Paphos, située à l’ouest. Κύπρος (Kupros) a beaucoup à offrir, de la plage où naquit Aphrodite de l’écume des eaux au massif du Tróodos, riche en gisements de cuivre ; la force tectonique des plaques africaine et eurasienne nous emmène pas loin des 2.000 mètres. La chaîne montagneuse traverse le pays en arrosant la quasi-totalité des rivières de l'île. Églises byzantines et monastères sont blotties dans des vallées où l’on trouve de beaux villages pittoresques cramponnés aux pentes découpées en terrasses. Oliviers et cépages Xynisteri (blanc) ou Mavro (rouge), c’est la Méditerranée dans toute sa splendeur ! Depuis le temps où le roi Farouk d’Égypte avait ses quartiers à Platres, le Brandy Sour est tendance. Par la magie d’un barman alchimiste, le cocktail (brandy, Angostura, eau gazeuse, citron) ressemble – comme deux gouttes d’eau – à un thé glacé… Pratique ! Le centre d’art byzantin qu’est le monastère de Kýkkos, fondé par Alexis Ier Comnène, nous offre un abri contre les fortes pluies ; la « fille d’or », icône de la Vierge, veille sur le lieu millénaire…

Notre appart-hôtel à la terrasse agréable nous offre un refuge contre ces belles journées de plus en plus chaudes. Chypre, nous t’apprécions de plus en plus ! Paphos offre l’opportunité de pénétrer dans le site d’exception des Tombeaux des Rois. La nécropole, découverte lorsque l’orientalisme était à la mode, permet d’approcher au plus près des tombes souterraines, datées du IVème siècle av. J.-C. et creusées dans la roche. Lieux de sépulture de rois, d’aristocrates, de hauts fonctionnaires, certaines datent des Ptolémées (294-58 av. J.-C.). Ici, les premiers chrétiens, persécutés, y trouvèrent refuge. Nous jouons des scènes de théâtre dans des lieux théâtraux, avant de repartir en direction de la partie nord de l’île. Non loin, les vestiges de Nea Paphos rendent hommage à Aphrodite. Dans les domus romaines, les mosaïques mythologiques sont dingues ; odéon et agora paraissent immenses ! Rapidement, nous rallions Nicosie, notre nouvelle Sarajevo. Depuis l’intervention turque de 1974, la capitale est coupée en deux par la « ligne verte », une zone démilitarisée onusienne, en fait un simple mur jalonné de points de contrôles frontaliers. Des deux côtés de la frontière, chaque musée raconte sa propre version de l’histoire. Rue Ledra, nous passons d’une Chypre grecque occidentalisée avec ses bars à bières et à vins locaux, à une Chypre turque où les mennemen ne sont jamais très loin. Partout, le bruit des tasses des thé turc bien sucré se fait entendre. Ils nous font des yeux doux. Nous les enchaînons non loin de la mosquée Turunçlu Fethiye, à l’abri du soleil sur une veille table de Büyük Han, un bâtiment à portiques de deux étages en pierre taillée organisé autour d'une cour rectangulaire. Le caravansérail est devenu un centre d’art et commercial, comme au temps des Routes de la Soie. Un vieil homme remplit nos godets de çai, peut-être originaires de la côte est de la mer Noire, qui nourrissent notre amour de la lecture. Pendant que Maghnia se plonge sans relâche dans des romans, je finis le très beau L’île des arbres disparus d’Elif Shafak, « une somptueuse fable sur le déracinement qui noue blessures de l’Histoire » (L’Humanité). Son ouverture très poétique est magistrale. Nous poursuivons ces nourritures spirituelles dans le joli port de pêche de Kyrenia qui accueille un magnifique fort romain filmé par notre drone, qui capte la magnificence de l’étroite cordillère qu’est cette chaîne montagneuse faite de calcaire et de marbre. Je sauve l’enfant Drony de la noyade et d’une mort certaine, juste avant de sauter dans un minibus qui nous ramène vers notre cocon douillet de Nicosie.

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Dans une partie orientale qui rappelle sans cesse que Chypre est située au Proche-Orient, les prix défient toute concurrence. Le voisin et protecteur turc inonde le pays de vêtements sortis de ses usines bon marché et vendus, à quelques mètres des douaniers, par des migrants non déclarés. On fait le plein d’habits techniques qui remplaceront nos affaires de voyage parfois fatiguées. Il est déjà temps de retourner vers Larnaca, la ville de naissance de Zénon de Kition et fondateur du stoïcisme, l’école philosophique choisie par Cicéron, Sénèque ou Marc Aurèle. Philosophie Magazine m’explique que « les stoïciens, contrairement aux épicuriens dont ils sont les adversaires, croient au destin. La sagesse consiste donc à accepter la place qui nous est donné dans l’univers, à vivre en harmonie avec la nature en prenant soin de son corps et de son âme par la pratique de la vertu et le rejet des passions. » C’est donc Zénon, autochtone d’une île levantine, qui inspira le christianisme avec sa morale de la vertu et son détachement à l’égard des choses extérieures. Respect ! Proche de Larnaca, le complexe lacustre d’eau salée d’Akrotiri est exploité dès l’Antiquité ; le sel constitua la première richesse de l'antique Kition. Une colonie de flamants roses y a élu domicile. J’aime toujours autant admirer le plumage blanc-rosâtre et les pattes longues et fines de ces habitants des eaux saumâtres. La légende veut que Lazare, un pote de Jésus, ait transformé des vignes en lac salé pour punir un propriétaire lui ayant refusé une grappe de raisin... Les oiseaux migrateurs, sont-ils venus nidifier ? L’un des lacs offre un cadre superbe au tekké Hala Sultan, un sanctuaire composé d’un mausolée, d’un cimetière et d'un monastère musulman. Nombreux sont les universitaires qui en parlent comme du troisième ou du quatrième lieu saint de l’islam. Les navires battant pavillon ottoman avaient pour habitude de mettre leurs drapeaux en berne au large de ses côtes, et de le saluer de coups de canon. Ça en est fini des goûteux souvlaki, de la crème d’une bougatsa, du fade halloumi ou du salep d’un café de Nicosie. Une longue marche nocturne nous conduit à l’aéroport, l’esprit presque déjà tourné vers l’Ouest américain !


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