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Le berceau de la civilisation - Irak

  • Photo du rédacteur: CoolinClassic
    CoolinClassic
  • 12 janv. 2024
  • 9 min de lecture

Novembre 2023




Après une nuit bien stressante, nous prenons la direction de la ville de Sindbad, l’aventurier des mers orientales des Mille et Une Nuits. Les puits de pétrole sont en feu, on se croirait dans Jarhead, la fin de l’innocence ! Enfant, ce sont les images que j’avais du Golfe, la guerre en plus. Dans Jarhead, Sam Mendes montre la longue attente de Marines déracinés lobotomisés aux vidéos CNN et à la bière. Ce n’est pas dans la Bande de Gaza qu’un trop-plein d’images risque d’arriver ! À Basra, nous comprenons illico que le taux de change dollar-dinar irakien très incertain nous coûtera une fortune, et qu’il sera dur de « tout » voir tant les horaires de visite sont restreints et que la sociabilisation se fait à la tombée de la nuit. Sur la rive du Chatt-el-Arab, les enfants jouent pendant que d’autres sont dans les merveilleux petits cafés temporaires de nuit. Nous devons partir à la première heure… Notre chauffeur a eu un accident. Est-il de ceux qui ont écrasé ces nombreux chiens que l’on voit au bord de la chaussée ? Nous voilà enfin sur des routes mésopotamiennes où les affiches de martyrs seront légion. En direction de l’origine de la civilisation ! Il y a près de 10.000 ans, c’est dans cette région que sont nées l’agriculture puis l’écriture, la civilisation urbaine ou la mesure du temps… Un chauffeur nous emmène au confluent des mythiques Tigre et Euphrate. Caché dans un jardin en souffrance, cet arbre serait l’un des lieux putatifs du jardin merveilleux où la Genèse place l’histoire d’Adam et Eve. C’est bien l’Eden des ordures ! Les Marshes sont un nouveau voyage dans le temps. Le royaume des Arabes des marais n’a presque pas changé depuis 5.000 ans, comme l’attestent les bas-reliefs sumériens. Les rares maisons lacustres de roseaux ne sont toujours pas reliées à l’eau ou l’électricité, et leurs fidèles compagnons - les buffles - pataugent toujours dans la zone humide. Le marais était, jadis, le grenier à céréales de la grande cité sumérienne… Ur, la plus ancienne ville de l’Humanité connue à ce jour. C’est assez jouissif que de se dresser devant les ruines restaurées de l’immense ziggourat, sanctuaire en l’honneur de Nana, le Dieu-Lune. Ici, l’Euphrate irriguait la région devenue désertique. Inanna/Ishtar, la grande divinité astrale, n’a pas fertilisé comme il se doit la plaine devenue sèche et rocailleuse ! Si l’eau ne coule plus, l’Histoire elle continue de s’y écrire. C’est ici qu’on vénérait Inanna, le Dieu-Lune, relais de son fils, le dieu solaire Shamash. Depuis la visite du pape François, le site est en grande partie fermé, notamment celle qui fait d’Ur le possible lieu d’origine d’Abraham, le patriarche biblique. « Ur de Chaldée » ? peut-être ! Pour rallier Nasiriya, nous longeons un instant, avec une pointe de frayeur, la prison des 8.000 combattants de Daesh...

Nos premières journées sont ainsi marquées par l’Histoire, en haut du tell de Borsippa par exemple où la ziggourat rendait grâce à Nabu, dieu mésopotamien de la sagesse et du savoir. Une mosquée a été édifiée sur le présumé lieu de naissance d’Abraham. En allant vers al-Ukhaidir, l’armée nous bloque dans l’un des innombrables checkpoints. « Nous sommes l’armée, et nous avons confiance en personne, pas en la police, encore moins en votre chauffeur. On ne sait pas ce qu’il y a par là-bas... » nous dit la seule personne à des dizaines de kilomètres qui parle un anglais compréhensible (presque parfait). Un militaire, mort de rire à faire ses snaps, nous escorte dans la gigantesque forteresse. Ainsi, si tout paraît calme, « méfie-toi quand même de l’eau qui dort » m’écrit-on. Juste après notre départ d’Erbil, on nous apprend aussi que la base de la Coalition internationale contre Daesh, située dans son aéroport, a été attaquée par trois drones piégés. Au loin, les premières pierres apparaissent… Babylone, la mythique cité antique se fait de plus en plus proche. Mekki, qui saute dans notre voiture, nous fait entrer sur le site gratos avant de nous expliquer ses années Saddam puis aux côtés de ces trous de balle de l’US Army. Venaient-ils, comme ces fous de l’EI dans le nord du pays, piller les ruines de la cité mythique comme dans La Reine de Babylone, le dernier opus des aventures de Corto Maltese ? « Vous êtes doué pour retrouver les trésors. Et nous, on cherche celui de Dhou al-Qarnain… Alexandre le Grand. », lui dit un GI. Serait-il sous les fondations de la tour de Babel ? « Penses-tu que le trésor y est ? Non, mais j’ai rendez-vous ici (…) avec la reine de Babylone », à savoir sa douce Sémira(mis), répond Corto. À lire ! Avant de pénétrer seuls dans Babylone, nous la dominons de la colline qui abrite l’un des palais de celui qui se faisait appeler « serviteur de Dieu » ou « leader de tous les musulmans » (Saddam Hussein). Les fans d’urbex seraient en kif ! On s’engouffre dans une cité mineure devenue capitale d’un royaume bien plus puissant sous Hammurabi ou Nabuchodonosor II. Si le mythe de Babel demeure vorace, les légendaires jardins suspendus, cités notamment par Strabon, se sont transformés en bush de la misère. On aurait aimé avoir le ressenti de Philon de Byzance face à ce « jardin qu'on appelle suspendu, parce qu'il est planté au-dessus du sol, cultivé en l'air ; et les racines des arbres font comme un toit, tout en haut, au-dessus de la terre ». Nous gambadons dans le célèbre labyrinthe bien complexe. Par la grâce de notre nouvel ami Mekki, nous trouvons enfin notre Graal : des écritures cunéiformes, les premières formes d’écriture apparues il y a près de 5.000 ans. Cela apaise la déception de rater le mythe Uruk, lieu de l’invention de l’écriture… Le Lion de Babylone est notre Lion de la tribu de Juda, Babylone est notre Zion à nous ; fyah bun comme dirait Pierrot !

Il n’y a pas un jour où nous ne sommes pas inondés par la gentillesse et la générosité sans limites des Irakiens : taxis refusant notre argent, thé et bouteilles d’eau offerts à tout va, déjeuners offerts par les restaurateurs ou l’armée…, ça en est presque trop ! Nous rallions le cœur chiite du pays. C’est un choc que d’entrer dans les villes saintes de Najaf puis Kerbala. La ferveur est franchement dingue. Au petit matin, nous entamons la tournée des mausolées chiites par une vue panoramique sur les 5 millions de tombes et les figures de martyrs du plus grand cimetière du monde... Le premier mausolée est celui de l’imam Ali, le cousin du prophète, 1er imam du chiisme, 4ème calife de l’islam. Selon la tradition, Adam et Noé y seraient enterrés. Aux abords du sanctuaire, thé et pâtisserie de fortune sont servis. On aurait tort de s’en priver ! Nous voici à contourner le bâtiment décoré de céramique turquoise puis face au pishtak, le portail en forme d’arc. L’intérieur grouille de pèlerins qui rallient le dôme couvert de 7.777 dalles de briques couvertes d’or pur. La foule est dense, surexcitée, c’est la cohue. Le lendemain, nous sommes dans le complexe chiite de Kerbala, les mausolées des imams Hussein et son demi-frère Abbas. Le noir est partout, le tchador la règle. Hussein, petit-fils du prophète, mort au cours de la bataille de Kerbala ne repose pas en paix tellement la foule est dense et bruyante. Je suis bousculé par des bras, des torses, ces mains qui tentent de toucher le Graal. J’entends et vois les pèlerins en pleurs. Je tente d’imaginer le lieu au moment de l’achoura, jour anniversaire du massacre par les Omeyyades de Hussein et ses adeptes. À l’extérieur, ça squatte de partout et des hommes portent parfois des cercueils d’une marche rapide et en chantant. Hallucinant !

Le son des petits verres appelés istikan résonne rue al-Mutanabbi, car un taxi collectif nous a déposés à Bagdad. Au café Shabandar, La Mecque des intellectuels irakiens, le thé au citron coule à flots. S'agit-il du chaï noomi basra, une boisson à base de limou omani (lime d’Oman) fréquente dans le Sud du pays ? Les citrons verts bouillis dans de l’eau salée seront séchés au soleil. C'est amer. Si au Moyen-Orient, le thé est partout, on le boit ici noir, à la cardamome et sucré, très sucré ! À Bagdad comme dans tout le pays, les femmes sont discrètes, en retrait, peu enclines à se faire photographier. Grâce à Papa Jacques, Pierre Barbancey, le grand-reporter de L’Humanité, nous met en contact avec un communiste. Direction la fête de l’Huma locale pour rencontrer Rachid Taha… l’Irakien pas le chanteur ! Le 1er Secrétaire national du parti dit connaître mon père… Fierté maximale ! Si Bagdad est dégueulasse comme tout le pays noyé sous le plastique, c’est le lieu parfait pour parfaire sa culture musulmane. Hanbalisme ? Hanafisme ? Kezaco ?! Dans la mosquée Ahmad Ibn Hanbal, cachée au milieu d’une rue éclatée du centre historique du « Nombril du monde », un vieil imam nous fait pénétrer dans une mosquée qui ne paie pas de mine. Le vieillard pakistanais a accroché des images de son pèlerinage de La Mecque sur les murs du lieu saint. À côté de la salle de prière, un tombeau, enveloppé de tissus brodés, abrite le mausolée d’Ahmad Ibn Hanbal, l’un des maîtres de la jurisprudence sunnite. Son influence aurait modelé l’islam des Qataris et Saoudiens, le wahhabisme en quelque sorte… Chaud ! Entre deux mguilah, on ouvre pour nous les portes d’une fabuleuse université médiévale, peut-être la plus ancienne… En soirée, nous testons le masgouf, un délicieux poisson cuit au plus près de la braise, puis flânons de l’hôtel Palestine au marché au cuivre presque médiéval, des bords du Tigre à ce merveilleux palais abbasside, du théâtre national au plus vieux marché de livres du monde, du musée Bagdadi au quartier des peintres, parfois dans le tuk-tuk d’Ali, un jeune Badgadi qui nous fait 1.001 cadeau. Et le plus souvent dans le chaos d’une circulation automobile harassante ! Au Musée national, les collections impressionnantes des civilisations sumérienne, babylonienne, akkadienne, assyrienne, chaldéenne ou islamique ont été amputées par des collectionneurs sans scrupules qui ont acheté à des pillards. Objets millénaires de Nimrod volés par Daesh vendus aux enchères ou sur ebay, tel est le capitalisme. Où se trouvent donc la harpe d’Ur ou le masque de Sargon ?




Sur la route du nord, nous nous approchons des restes de l’ancienne Sāmarrā, l’une des plus anciennes cités de la Mésopotamie antique. Il ne reste plus grand chose de la ville préislamique. Nous sommes désormais dans l’ancien territoire de ces salopards de Daesh, dans une cité qui a connu trop d’attentats ou de combats dans une histoire récente (2003, 2005, 2014). Certains lieux de culte ont d’ailleurs bien morflé, la mosquée al-Mutawakkil par exemple. Dès les faubourgs de la ville, nous comprenons que nous sommes en terre sainte chiite. Si les croyants cherchent à rallier un mazar (lieu de sépulture), à savoir le Sanctuaire Al-Askari, nous cherchons les traces du joyau abbasside fait de brique cuite et mortier de gypse, le célèbre minaret en spirale hélicoïdale. S’il est fermé, nous sommes pourtant souriants devant cette presque Tour de Babel de Brueghel l’Ancien, peut-être parce que Sāmarrā signifie en arabe « celui qui l'aperçoit est heureux » ! Sāmarrā devint à la fin du IXème siècle la nouvelle capitale du monde musulman. Clap de fin sur la cité, direction Mossoul. Les stigmates de la guerre sautent aux yeux, la ville est ravagée ! Pourtant, l’ancien bastion islamiste a conservé quelques traces de l’ancienne Ninive, la capitale assyrienne au début du VIIème siècle avant J.-C. Des militaires qui nous invitent à boire le thé et à manger nous dirigent vers ses imposants murs. Ici, Ashurbanipal, le roi de Ninive, a le premier créé une bibliothèque et des lois. Gloire à lui de nous avoir fait connaître l’histoire de Gilgamesh, le roi d’Uruk que Maghnia aime tant.



Après avoir roulé dans la montagne en compagnie d’un jeune Yézidi, nous rallions Lalesh et la région du Bahdinan. La vallée est considérée comme sacrée par les Yézidis, une communauté monothéiste qui vénère Cheikh Adi Ibn Musafir dont la dépouille se trouve dans une grotte éclairée à la bougie. Des sages proposent de bénir ces nœuds qu’ils font avec de la cordelette… contre rémunération ! Ici, la religion yézidie, survivance du mithraïsme iranien et syncrétisme religieux depuis le XIIème siècle (et Adli Ibn Musafir) fait commencer son calendrier 990 ans avant le calendrier juif… L’Irak, berceau de la civilisation ! La dernière ligne droite a sonné. Il est temps, car nos bourses se vident par la faute d’hôtels ou de voitures avec chauffeur « hors de prix » ! Place au Kurdistan, cet étrange territoire autonome peuplé d’une Nation qui a subi l’horreur sous Saddam et sans État ! Nous n’avons pas besoin de visa pour entrer dans la région. La découverte d’Erbil est très surprenante. Nous nous attendions à une ville en souffrance. C’est une ville ultramoderne, à la propreté impeccable et à l’histoire fascinante que nous découvrons. Nous rencontrons de suite Saman, autre contact communiste de Celui qui est dans la confidence, car bientôt nous dirons à nos parents que nous étions en Irak ! Saman nous emmène dans son café où les hommes jouent aux cartes, aux dominos ou aux échecs, déjeuner chez sa sœur ou au Teacher’s Club, le lieu hype du quartier chrétien d’Ankawa où l’on boit du raki. Mais aussi devant cette cathédrale ou ce musée qui raconte la vie des communautés assyriennes et chaldéennes, c’est-à dire ces chrétiens d’Orient de Mésopotamie qui ont pour langue le syriaque, un dérivé de l’araméen ! Si l’on comprend qu’ils représentent 7% de la population d’Erbil, Saman nous perd en évoquant les « Assyriens », « Chaldéens », le génocide assyrien des Ottomans et autre soureth, leur langue liturgique. Chrétiens d’Orient OK ! « Chaldéens », de Chaldée en Mésopotamie ? « Assyrien », peuple ou dénomination religieuse ? Rendez-vous peut-être l’an prochain avec Salman à la Fête de l’Huma ! Erbil est bien mignonne avec son imposante citadelle qui me fait penser à celle d’Alep. Elle domine un centre-ville sympathique - « enfin » touristique - où l’on mange si bien le matin. Si Erbil est tellement différente du reste de l’Irak, son atmosphère de paix et de sécurité qui s’en dégage en fait bien une ville irakienne. Petit message au ministère des Affaires Etrangères : l’Irak est bien plus safe que le Mexique ou le Brésil. Et merci à toi Maghnia pour ton idée (merdique) magique !



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